Le drame de Palestro
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Dans la maison forestière, abandonnée depuis deux ans, le sous-lieutenant Artur et sa section ont établi leurs quartiers. La baraque, entourée de verdure, surplombe la route qui mène au village et que les civils n'empruntent plus qu'en convoi. D'une caisse vide, Artur s'est fait un bureau. Hervé Artur a trente ans. Originaire de Casablanca, il a été rappelé sur sa demande, bien qu'il prépare son agrégation de philosophie. D'emblée, il a plu, par son dynamisme, sa gentillesse, sa bonne humeur, aux jeunes Parisiens qui ont été placés sous ses ordres.
Ce détachement a reçu mission de protéger l'axe routier Alger-Constantine, régulièrement coupé à Palestro. Mais Artur se passionne pour l'oeuvre de pacification entreprise. A la surveillance statique il préfère le mouvement, les contacts avec les populations.
Il en oublie presque la guerre tant ses premières expériences sont concluantes. A plusieurs reprises déjà, le sous-lieutenant Artur et ses hommes se sont aventurés dans le djebel. Ils ont rendu visite aux villages où les montagnards leur ont offert le kaoua.
Pourtant, Artur a reçu des consignes de prudence. Mais il n'est pas là pour mener une guerre d'extermination. D'ailleurs, comment ces fellahs simples et hospitaliers pourraient-ils être des ennemis de la France ?
Le 17 mai, au soir, le sous-lieutenant appelle ses sergents : « Demain matin, nous partirons à l'aube pour une mission de reconnaissance au douar Amal, près de l'oued Djerrah. C'est à 7 km au nord-ouest de Palestro. Le sergent Callu gardera le poste. Inutile de prévoir les rations. Nous serons de retour pour midi. »
Avant de s'allonger sur son lit Picot, Artur écrit à ses parents. Mais la journée a été rude et le lieutenant tombe de sommeil. Il continuera le lendemain.
Le sous-lieutenant Artur ne finira jamais sa lettre. C'est par la presse que sa famille connaîtra le dénouement tragique de sa dernière mission.

Le 18 mai, tandis que l'aube point derrière la masse sombre du djebel, la patrouille se glisse hors de la maison cantonnière. Le sous-lieutenant Artur est en tête. Il emmène avec lui les sergents Chorliet et Bigot, les caporaux-chefs Galleux et Aurousseau, les caporaux Poitreau et Hecquet, les marsouins Desruet, Dufour, Caron, Dobeuf, Gougeon, Carpentier, Serreau, François, Villernaux, Chicandre, Nicolas, Daigneaux, David-Nillet, Dumas. Vingt et un hommes au total, dont quinze pères de famille.
Le murmure de l'oued qui court entre les figuiers de Barbarie couvre un instant le cliquetis des armes et le bruit des pas sur le petit pont de pierre. Mais, bien vite, la piste se transforme en un raidillon qui part à l'assaut du djebel. Les soldats maintiennent entre eux un espacement d'une dizaine de mètres. Ils montent, l'arme à la bretelle, en soufflant quelque peu, Dumas surtout, qui porte le F.M. et pourtant. Dumas, vingt-quatre ans, mécano à Bonvillers, sera, dans quelques heures, le seul rescapé de la patrouille tragique. L'unique survivant par qui toute la presse apprendra les détails de l'embuscade. Vers 8 heures, Artur et ses hommes atteignent le douar Amal. Les Kabyles sortent des mechtas et saluent l'officier à la militaire. La conversation s'engage, anodine. Les marsouins cassent la croûte, plaisantent avec ces montagnards débonnaires. Dans la mechta du chef du village, Artur savoure un café. Vers 10 heures, la patrouille repart. Il est encore tôt et le lieutenant décide de pousser plus loin.

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